Poivre
à la recherche des épices. (Juin 1750 – Juin 1755) Trois
épices ont fait la fortune de
la Compagnie néerlandaise des Indes orientales (la
V.O.C) : la cannelle
cultivée sur l’île de Ceylan, le
girofle cultivé à Amboine et la muscade
à Banda
(Poulo-ai) , ces deux dernières îles appartenant
à
l’archipel des Moluques ; on désigne
souvent ces
épices, les « épiceries
fines ». En
ce milieu du XVIIIe siècle, les
Hollandais contrôlent complètement tout le
commerce de ces
trois épices, et
bien sûr, les autres nations ont souvent
rêvé de
partager le pactole. C’est
à ce moment, en l’année 1745,
que, privé de liberté, Pierre Poivre a bien le
temps de rêver, d’échafauder des
projets d’avenir. Il est retenu prisonnier à
Batavia (Jakarta), place centrale
de V.O.C, ce qui lui permet d’observer au plus
près les mouvements de ces
riches cargaisons, et de s’instruire sur
l’organisation de ce commerce. Il lui
semble qu’il suffirait d’un peu de courage et de
détermination pour se procurer
les épices, et il conçoit alors ce qui sera la
grande entreprise de sa
vie : rompre le monopole hollandais en introduisant la culture
des
épiceries fines dans les colonies françaises. Ainsi, il va
réussir à se faire
engager par la Compagnie des Indes pour aller lui-même
chercher aux Moluques
muscade et girofle pour en introduire la culture aux îles de
France et de
Bourbon (Iles Maurice et de la Réunion). Dans
un deuxième temps, des années plus tard,
il est envoyé comme intendant dans ces mêmes
îles, certes pour gérer cette
colonie, mais avant tout pour reprendre le projet de conquête
des épices. Cette
fois, Poivre ne s’embarque pas lui-même, mais
organise les expéditions qui vont
définitivement introduire les épiceries fines
dans les colonies françaises. La
présente étude ne traite que de la
première partie de la conquête des
épices, celle où Poivre s’engage
très
physiquement dans cette entreprise, en se rendant sur place, entre
Indonésie, Malaisie,
Philippines, Moluques et Célèbes, dans une
très longue pérégrination dont le
résultat
n’est pas à la mesure des efforts
déployés : aucun muscadier ou
géroflier n’est
en culture dans une colonie française quand Poivre met fin
à sa mission. Le but de cette
étude est d’offrir
l’ensemble des documents d’archive qui traitent de
cette expédition de Poivre. Pour
cela, au fur et à mesure d’un récit
à la première personne, très
abrégé, simple
fil conducteur, fait des mots même de Poivre
empruntés à son rapport de
mission, il est possible d’accéder aux documents
relatifs à chaque période. On pourra également trouver des informations originales, absentes des documents auxquels nous renvoyons, dans les éloges de l’Académie de Lyon, leurs auteurs ayant eu en main des documents qui ne nous sont pas parvenus. (Eloges lyonnais à Pierre Poivre.) Nous
n'épiloguerons pas sur
cette longue, intéressante mais décevante
entreprise, cependant voici quelques remarques. 1° : Lorsque Poivre arrive à Manille fin mai 1751, il apprend qu’il y circule une lettre de Dupleix offrant récompense à qui lui rapportera des plants d’épiceries fines. Cette initiative gêne l’entreprise de Poivre qui souhaitait avec la Compagnie que le projet restât secret. Cette démarche malencontreuse de Dupleix qui s’inscrit dans la querelle Poivre-Dupleix-Friell, est bien confirmée par Dupleix lui-même dans son courrier à la Compagnie du 3 octobre 1750 . 2° :
Dans la première partie de
sa mission, Poivre est très handicapé car il
n’a pu disposer d’un voilier qu’il
puisse mener à sa convenance. Cela justifiait de repartir
sur la frégate la Colombe pour
aller lui-même aborder
aux îles où poussent les épices. Mais
à quoi bon cette nouvelle expédition si
ce voilier n’a pas les qualités marines
suffisantes pour remplir l’objet de sa
mission ? On nous dit que la Colombe
est mauvaise bouliniere,
on
comprend
donc que ses faibles performances vont compliquer la tâche ;
mais pourquoi alors
surcharger au-delà du raisonnable ce voilier, et le mettre
d’une façon certaine
dans l’impossibilité de remplir sa
mission ? Poivre ecrivait le 10 avril 1750 avant de se lancer
dans
cette aventure : "Je compte exécuter ce second projet sans
vous
mettre dans le cas de faire aucune dépense". Pourtant la
Compagnie lui avait bien spécifié
précédemment en apprenant qu'il n'avait pu
charger toute
la cargaison qu'il se promettait de revendre : "Ce n’est que
des
suites heureuses de la tentative que vous allez faire que la Compagnie
a dû se promettre quelque profit" (Lettre du Comité 25.10.49). Il
semblerait
que Poivre
ait préféré dédommager la
Compagnie des frais de sa mission plutôt que de la
remplir. 3° : De retour à l’Isle de France, Poivre débarque de la Colombe une petite caisse contenant un plant de géroflier et une noix germée d’une espèce sauvage, sans qualité gustative, épice qu’il sait être parfaitement impropre au commerce. Cependant il va organiser tout un cérémonial autour de sa caissette avec moult procès-verbaux dignes de l’objet le plus précieux. Il semble bien qu’il ait tout fait pour laisser croire qu’il apportait l’épice tant désirée. La destruction de ce plant n’est pas la catastrophe annoncée, elle permet de dissimuler à tout jamais le subterfuge. Par ces mêmes procès-verbaux, on apprend qu’en plus du plant et de la noix germée de muscadier, Poivre a rapporté pour qu’ils soient cultivés « graines de gérofliers et noix de muscadiers ... pour être par vos ordres cultivés ». On est un peu étonné qu’il n’ait pas mentionné cette très importante acquisition dans son rapport de mission ; mais sa lettre au Comité secret du 15 novembre 1755 nous fournit la réponse : «Le Sr Oscote avait semé des unes et des autres : mais aucune graine n’avait germé. Il les jugeait trop vieilles [...] Le Sr Oscote m’a remis un petit sac de ces mêmes gérofles mûrs, et noix muscades longues et rondes ». Donc Poivre demande au Conseil supérieur de faire cultiver des graines qu’il sait impropres à la germination. On comprend qu’il les ait oubliées dans son rapport de mission.
Avant d’accabler Poivre,
notons dans ce même courrier de novembre 1755, la profondeur
de son ressentiment : « Aujourd'hui il ne reste aucun de ces plants
précieux. J'en eusse apporté mille des deux
espèces, que tous mille eussent
péri en mon absence ».
Sentiment du plus total abandon de la part de
la Compagnie après tant d’efforts. 4° : Quand Poivre est de retour à Paris, il rend compte de sa mission ce qui est d’autant plus nécessaire que la Compagnie l’a complètement oublié. Dans son rapport, il explique que si le résultat n’a pas répondu aux espérances, c’est la Compagnie qui en est pleinement responsable. Il souhaite que ses mérites soient reconnus, et entend que les pensions et gratifications sonnantes et trébuchantes promises par la Compagnie lui soient attribuées. La Compagnie ne répond pas à sa demande, et il lui faut attendre que Bertin parvienne au ministère des finances pour qu’une pension lui soit enfin allouée. La légende biographique veut qu’il ait obtenu cette pension sans l’avoir demandée ; on perpétue ainsi l’idée de l’homme totalement désintéressé. Mais la réalité est tout autre : Poivre a très fermement défendu ses intérêts, Bertin n’a fait que répondre à ses revendications. 5° : En décembre 1766, Poivre vient d’être nommé commissaire ordonnateur de la Marine faisant fonction d’intendant dans les îles de France et de Bourbon, et il s’apprête à s’embarquer pour l’Isle de France rejoindre son poste. C’est alors qu’il est anobli par Louis XV. (Lire Anoblissement de Pierre Poivre). C’est
l’occasion pour nous de prendre
connaissance des bons et loyaux services que le pouvoir
récompensait ainsi,
mérites acquis lors de sa mission pour la Compagnie des
Indes, celle-là même
qui nous intéresse ici : -
son
habileté et sa prudence lors de sa mission en
Cochinchine : Pourquoi pas. - un
traité commercial avec Timor qui permet d’obtenir
des
esclaves à bas prix : ce traité qui ne
semble pas
avoir été suivi de beaucoup d’effet,
détonne
un peu
parmi les mérites d’un homme qui s’est
clairement
exprimé contre l’esclavage. -
la
transplantation à l’Isle de France de beaucoup de
plantes utiles : c’est
incontestable. -
les
plants de muscadiers présents à l’Isle
de France : pure invention, il n’y
en a pas un seul. - les
périls encourus : six combats, quatre
emprisonnements, un
bras emporté.
On ne retrouvera pas ces hauts faits dans notre étude : son
bras
emporté et
beaucoup de péripéties dont un premier
emprisonnement
à Guernesey, datent de son premier voyage en
Extrême-Orient, avant
son entrée au service de la nation. On lui connait un
emprisonnement à Cork en Irlande, et bien
sûr on ne
peut que reconnaître les réels dangers de son
entreprise dans des mers hostiles.
* Jean Paul Morel, août 2010.
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CHRONOLOGIE |
Poivre
à la recherche des épices. (Juin 1750 – Juin 1755) |
ACCES AUX DOCUMENTS |
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Février-Juin 1745 : Poivre est retenu prisonnier sur l’île de Batavia (Jakarta) : l’idée germe : briser le monopole hollandais sur les épices. |
Une idée voit le jour et prend forme J'appris enfin que cette riche possession des épiceries, qui est la baze de la Puissance hollandaise aux Indes, avait pour principal appuy l'ignorance et la lâcheté des autres nations commerçantes de l'Europe, et que pour partager avec les Hollandais cette source intarissable de richesses qu'ils possèdent en secret dans un coin du monde, il suffisait de la connaître et d'oser vouloir la partager avec eux. |
Tous les textes de la colonne ci-jointe sont extraits de: . |
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7 décembre 1746 au 5 mars 1747 : Séjour à l’Isle de France : Poivre parcourt l’île et se convainc que les épices doivent pouvoir y être acclimatés. |
Je parcourus cette Isle ; j'examinai ses productions, j'en reconnus une grande partie pour être les mêmes que celles qui se trouvent aux Molucques, suivant les relations hollandaises, et parmy ces productions je vis beaucoup de plantes aromatiques | ||||
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2 juin 1748 au 23 octobre 1748 :
|
Le
projet est présenté et accepté Je proposai deux projets: l'un regardait l'ouverture d'une nouvelle branche de commerce à la Cochinchine et l'établissement d'un comptoir dans ce Royaume. L'autre avait pour objet l'acquisition des plants d'épiceries fines pour les transporter dans nos Isles de France et de Bourbon. [...] Elle agréa les deux projets et me témoigna qu'elle souhaitait de m'en confier l'exécution.
|
Le 30 sept. 1748.
Instructions de
la Compagnie
à M. Poivre et au gouverneur David. |
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23
octobre 1748 : Départ
de Lorient. Escales:
15 – 22 janvier 1749 : Le Cap 13 mars – 16 avril 1749 : l’Isle de France 21 juin – 7 juillet 1749 : Pondichéry 29
août 1749 - 11 février 1750 : Séjour
en Cochinchine. 10
avril 1750 : Retour
à l’Isle de France. |
Ouverture du commerce avec la Cochinchine
Je partis du port de L'Orient le 23 octobre 1748,
sur le vaisseau le Montaran
destiné pour la Chine. Le
Prince m'accorda successivement plusieurs audiences dans lesquelles il
m'honora d'une familiarité sans exemple chez les souverains
asiatiques. Je
profitai de ses bonnes dispositions pour obtenir de lui des Lettres
Patentes
par lesquelles il accorde aux Français, jusques
là inconnus à la Cochinchine,
la permission de faire le commerce dans toute l'étendue de
son Royaume.
Je partis du port de Faïfo le 11
février 1750. J'arrivai à l'Isle de
France le 10 du mois d'avril suivant. |
.
Documents annexes
à la mission en
Cochinchine confiée au Sr Poivre . . |
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2
juin 1750 - 2 décembre 1753
---------------------- . . 2 juin 1750 : départ de L’Isle de France .
8 août 1750 : arrivée à Macao et le 14 août à Canton. . .
25 avril 1751 : départ de Macao sur le Santa Rita. .
25 mai 1751 : arrivée
à Manille. .
A partir de noix fraîches, Poivre obtient 32 plants de muscadier. .
1 mars 1752 : deux bateaux armés par Poivre vont dans les Moluques chercher des plants de géroflier, mais reviennent bredouilles. Convention avec le gouverneur de Sambuangan. .
.
21 février 1753 : Faute de voilier à sa disposition, Poivre quitte Manille et arrive à Pondichéry le 7 avril 1753 avec 12 plants de muscadier vifs. Séjour à Pondichéry de 6 mois et demi. .
.
20 octobre 1753 : départ de Pondichéry sur le Rouillé accompagné du Lys. .
.
2 décembre 1753 : arrivée
à l’Isle de
France. |
La conquête des épices - Première tentative.
Je partis de l'Isle de France sur le
vaisseau le Mascarin le deux
juin 1750, et j'arrivai à Canton le 14 août de la
même année.
Je fis fabriquer à la Chine des
soyeries propres au commerce de Manille; je les chargeai sur un
vaisseau de
Macao, nommé le Santa Rita,
et
partis de Macao, le 25 avril 1751.
J'arrivai à Manille le 25 May suivant. Un
marchand chinois avait apporté
quelques sacs de noix muscades ... je me procurai par lui 300 noix qui
étaient
toutes fraîches, ... je les plantai aussitôt dans
la meilleure terre que je pus
trouver et en peu de tems j'en vis successivement sortir et germer une
douzaine. ... Le même Chinois m'ayant ensuite
procuré ... le 12 février 1752,
je me trouvai en possession de trente deux plants de muscadiers beaux
et
vigoureux. Il ne me manquait plus que des geroffliers, mais je ne
pouvais
gueres espérer d'en obtenir de la même
manière dont j'avais acquis les
muscadiers. ... Dans cette persuasion, je pensais que
l'unique moyen d'acquérir les plants de
géroffliers était de me servir de
quelque embarcation du pays pour aller moi-même, ou envoyer
quelqu'un de
confiance, à la recherche de ces plants, dans les Isles
où ils croissent, à l'insçû
des Hollandais j'écrivis
une seconde lettre à M.
David, pour lui apprendre mon commencement de succès par
l'acquisition des
muscadiers et lui demander avec insistance la frégatte dont
j'avais besoin pour
achever ma mission; je lui fis passer en même tems un
mémoire sur la manière de
former un jardin propre à recevoir les plants que j'avais
déjà, et sur la
méthode avec laquelle on devrait les cultiver.
je me procurai, à force de
recherches, deux batteaux espagnols que j'armai de concert avec le
gouverneur
de Manille sous un nom espagnol et sous le prétexte de les
envoyer en course
contre les insulaires d'Iolo, pour cacher le vrai motif de leur voyage.
Mon but
était de les envoyer à la recherche des plants
d'épiceries, afin de les avoir
prêts à l'arrivée de la
frégatte que j'attendais Ces batteaux partirent de Manille le 1er de mars 1752 : ils arrivèrent à Sambuangan les premiers jours de May,... mais les pilottes assurèrent qu'il n'était plus tems d'aller dans les Isles du Sud, vu que la Mousson du Sud-Ouest était déjà déclarée. Je
m'adressai au Gouvernement général
des Isles Philippines ... je lui confiai par degré le secret
de mon entreprise
...et l'amenai à faire avec moi une convention relative
à l'exécution de mon
projet : 1° que le Gouvernement
général donnerait ordre à celui de
Sambuangan d'expédier un bateau armé par des
Mindanaoniens, exercés dans le
commerce interloppe des Molucques, pour aller dans ces Isles
chercher au moins
25 plants de chaque épicerie avec la plus grande
quantité de graines fraîches
qu'ils pourraient recueillir. J'attendis
inutilement à Manille
pendant 14 mois la frégatte que j'avais demandée Dans
cet abandon forcé je n'eus
d'autre parti à prendre que celui d'aller moi-même
solliciter les secours dont
j'avais besoin. Je
m'embarquai donc sur le Chevalier Marin
avec dix neuf plants de muscadiers sains et vigoureux Je
partis de Manille, le 21 février
1753 et arrivai à Pondichéry le 7 avril. Des
dix-neuf plants de muscadiers que
j'avais embarqués à Manille, je n'en
débarquai à Pondichéry que douze.
Le dix-neuf Octobre de la même année
1753, je mis dans le Rouillé, sur
lequel je m'embarquai pour l'Isle de France, trois des plants qui me
restaient,
et je chargeai les deux autres sur le vaisseau le
Lys qui partait en même temps que le Rouillé. Je crus devoir
ainsi partager les risques,... Je
partis de Pondichéry le 20 8bre
et arrivai à l'Isle de France le 2 Xbre
1753. Les cinq plants furent
débarqués en bon état. |
Etat des
épiceries à l’Isle de France
par M. de Boisneuf. . . Poivre au Comité secret. . 31 décembre 1750 : Poivre à M. de St-Priest |
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2 déc. 1753 – 1e mai 1754
Trouver une
place favorable pour installer
les cinq plants de muscadier. Malgré le mutisme de la Compagnie des Indes, Poivre choisit de perserverer dans sa mission. Il
décide le gouverneur à lui confier
un vaisseau, La
Colombe, et
de l’armer pour poursuivre sa mission. |
Séjour de cinq mois à l’Isle de France
Lorsque
j'arrivai à l'Isle de France
avec mes plants de muscadiers, je ne trouvai ni ordres ni disposition
pour les
recevoir, et pour en assurer la conservation. Je peux assurer que c'est
à ce
deffaut que la Compagnie doit attribuer la perte qu'elle en a faite par
la
suite. je
parcourus les différentes
habitations de l'Isle de France pour y
chercher quelque endroit propre à la
culture et à la conservation des plants de muscadiers que
j'avais jusque là
conservés dans les caisses de Manille, faute d'un lieu de
sûreté et d'un
terrain disposé à les recevoir. « Vous
êtes surpris que la Compagnie
vous abandonne! vous lui apporteriez aujourd'hui toutes les Molucques
avec leurs
épiceries et leurs mines d'or, qu'on ne voudrait pas les
recevoir de vous. » Mon
premier mouvement passé, je fis
réflexion que ce serait donner gain de cause aux ennemis de
mon projet que de
l'abandonner, Je
demandai à M. Bouvet, Gouverneur
de l'Isle de France, un vaisseau, quelque mauvais qu'il fût,
uniquement pour
me porter à Manille, où j'espérais
trouver les plants qui
nous manquaient. |
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1 mai
1754 - 8 juin 1755
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1
mai 1754 Départ
sur la Colombe. Trois mois et
demi de mer pour
atteindre Manille le 17 août. 17
août 1754 – 22 janvier 1755 Séjour
de cinq mois à Manille, réparer
et améliorer la frégate. Vendre la
cargaison, en acheter une
autre : 22
janvier 1755 Départ
de Manille descente dans le
sud des Philippines à
l’ile de Mindanao. 3
au 9 février 1755 Escale
à Mindanao Déception,
les îles sont en guerre,
et le gouverneur de Sambuangan n’a pu se procurer les
épices comme il en était convenu
avec Poivre en 1752 10
février au 10 avril 1755 Navigation au
sud, d’îles en îles, les Moluques,
les Célébes, Impossible
d’accoster dans les îles à
épices. 10
avril 1755 au 2 mai 1755 Escale sur
l’île de Timor Le gouverneur et
Poivre pour la Compagnie signent un traité commercial. 8
juin 1755 La Colombe acoste à l’Isle de France avec une
cargaison, de quoi
dédommager la Compagnie, mais seulement un plant de
muscadier et une noix
germée d’une
espèce sauvage, simple curiosité. Et quelques
gérofles et noix muscades impropres à la
gérmination. . |
La conquête des épices. Deuxième tentative.
Je partis de l'Isle de France le
premier de mai sur la frégatte, la
Colombe, qui était faiblement
équipée. Avec
un vent toujours favorable il me
fallut trois mois et demi pour me rendre à Manille A
mon arrivée à Manille, ... la
guerre y était allumée entre les Espagnols et les
insulaires de Mindanao ; la
communication coupée entre Manille et les isles
méridionales de l'Archipel, au
point que pendant cinq mois de séjour dans le pays, je ne
pus recevoir une
seule lettre du Sr Oscotte, gouverneur de Sambuangan, sur les
opérations
duquel j'avais principalement compté en faisant ce voyage.
il fallait fermer la bouche en
cherchant à quelque prix que ce fut à
dédomager la Compagnie des frais de mon
armement, et pour cela il fallait bonder de marchandise la cale et
même l'entrepont
du vaisseau, et par là diminuer encore sa marche.
Le vaisseau étant chargé et
même
bondé de marchandises, je partis de Manille le 22 janvier
1755. Je cottoyai les
Isles Philipines jusqu'à Mindanao, et mouillai le 3 de
février à l'entrée du
port de la Caldeira. A
Sambuangan, le Gouverneur ...
n'avait pû entreprendre aucune opération suivant
qu'il en était convenu avec
moi, parce que peu de tems après son arrivée
à Sambuangan en mars 1753, les
insulaires de Mindanao avaient déclaré la guerre
aux Espagnols et que par conséquent
il n'avait pu traiter avec eux pour la recherche des plants ... En
conséquence
je renouvellai avec lui mes premières conventions. et fis
route pour l'isle de Mèao
où je comptais trouver des
plants de géroffliers. Le
onze février je débouquai le
Détroit de Basilan; je passai le dix neuf dans un second
détroit formé par le Pic
de Siao et les isles de Bouqui. Le vingt, j'atterrai à
Méao. On
approcha le rivage jusqu'à la
distance de deux encablures, sans trouver le fond ... mais comme la
nuit
approchait et qu'il paraissait quelques brisans devant le vaisseau, les
marins
furent d'avis de virer de bord et de courir des bordées
toute la nuit pour se
relever et se maintenir au vent de l'isle, mais
la frégate était si mauvaise
boulinière que le lendemain au point du jour, elle se trouva
à cinq ou six
lieues sous le vent de Meao sans qu'il fut possible de se rapprocher de
l'isle. Après
avoir inutilement lutté contre
le vent et les courants je poursuivis mon voyage et fis route pour
aller
reconnaître la côte orientale de l'isle de
Célébes. Le 20 février je donnai
dans le détroit de Xulla, qui est très dangereux,
mal placé sur les cartes, Au
sortir de ce détroit, je cottoyai
successivement les isles de Célébes et de Button;
je tentai en vain de traiter
avec les naturels, Je
rencontrai à la pointe méridionale
de Button un vaisseau hollandois, devant lequel je me
déguisai, en lui montrant
un pavillon de sa couleur ; Je continuai ma route pour
aller attaquer le Cap
de Store sur l'isle de Solor, et le 19 mars 1755, je donnai dans le
détroit de
Larentoue. Le 29 du même mois je passai dans celui de
Lamaker, et le 10 avril
suivant je mouillai dans la rade de Lifao, principal
établissement des
Portugais sur l'isle de Timor. Je m'ouvris au Gouverneur sur le motif de ma relâche et je le mis dans mes intérêts. J’avais
ouï dire ... que l'isle de Timor produisait
quelques épiceries. Ce gouverneur ... envoya son
secrétaire dans les provinces
orientales de l'isle. Quinze
jours après le Secrétaire
revint avec ... plusieurs petits plants adhérens chacun
à une noix que je
reconnus pour être une muscade ... mais ayant ouvert quelques
noix, je les
trouvai presque sans aromate Je
déclarai ... que je regardais ces
plants comme d'une espèce sauvage qui ne pouvait servir que
pour la curiosité,
cependant je les transportai au nombre de onze et les fis porter
à bord. Je
passai encore quelques jours dans
cette rade pour conférer avec le Gouverneur de Timor sur les
moyens qu'il
pouvait avoir par sa place de réussir à
acquérir les plants d'épicerie, Ce
second traité fait avec le
gouverneur de Timor qui commande une isle si voisine des Molucques dans
le Sud,
joint au premier traité fait avec celui de Sambuangan dans
le nord des mêmes
isles, me donne lieu d'espérer que mon voyage n'aura pas
été infructueux pour
le succès du projet de la Compagnie. J'achettai
à Timor 19 esclaves et 18 quintaux de cire
brute, je trouvai une bien plus grande quantité de l'une et
de l'autre, mais le
vaisseau étant déjà bondé
de marchandises de Manille, je n'avais plus de place
dans la cale pour ma cire, et mon équipage
n'était pas assez nombreux pour
contenir un plus grand nombre d'esclaves ; je ne pris qu'un essai et
seulement
de quoi paier les frais de mes relâches. Je
partis de Lifao le 2 Mai 1755 et j'arrivai à l'Isle
de France le 8 Juin suivant malgré toutes les mauvaises
qualités de la frégate. |
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8
juin 1755 – 26 avril 1757 --------------------------------- à
l'Isle de France
Les cinq
muscadiers rapportés précédemment
sont morts. Poivre y voit la
main de
Fusée-Aublet, apothicaire, aux ordres de Duvelaër,
directeur de la Compagnie
favorable à la Hollande. Le plant de
géroflier et la noix
germée sont confiés à
Fusée-Aublet ... et meurent. Sans ordre de la
Compagnie, le
nouveau gouverneur regrette de ne pouvoir aider Poivre. Poivre n’a donc plus qu’à regagner Paris pour rendre compte à la Compagnie. . |
Séjour
à l’Isle de France Dès
les premiers jours de mon retour
à l'Isle de France, je n'avais rien eu de plus
pressé que de m'informer de
l'état des plants de muscadiers que j'avais
apportés dans mon voiage précédent
et que j'avais transportés dans trois différens
quartiers de l'isle. Les
habitans à qui je les avais confiés m'apprirent
qu'ils avaient tous péri d'une
façon peu naturelle malgré les soins qu'ils
s'étaient donnés pour les
conserver. Ils s'accordaient à soupçonner le
même homme de les avoir fait périr le Sr Aublet,
trouvé pendant la nuit à roder autour du jardin
... ne peut qu'être
soupçonné d'un mauvais dessein. Je
pense qu'il ne me sera pas difficile
de prouver que cet
homme a été l'instrument, emploié par
les ennemis de mon projet dans la vue de le faire échouer. Une
conduite si extraordinaire
paraîtrait incompréhensible à quiconque
ignorerait que ce Commissaire n'était
qu'un cœur et qu'une âme avec le Sr
Duvelaër, cet ennemi déclaré de
mon projet. Je
remis encore au Conseil une petite
caisse qui contenait un plant de muscadier, le seul qui me restait des
onze
plants que j'avais embarqués à Timor, avec une
noix germée. Malgré...
la mauvaise disposition du Sr Aublet, le Conseil le chargea de la
culture du plant ainsi que de
la noix germée, Vingt-huit
jours après avoir reçu ce
plant, le dit Sr le rapporta au Conseil arraché,
brisé et défiguré,
disant qu'il était mort deux jours après l'avoir
reçu, et que la noix que l'on
avait vüe germée n'avait point eû de germe M.
Magon arriva le 4 Xbre 1755 en
qualité de Directeur de la Compagnie et de commandant
général des deux Isles [il]
n'eut rien de si empressé que de
s'informer ... du succès de mon dernier voyage il me déclara en me rendant ma relation que mon projet était excellent, mais qu'on ne lui en avait donné aucune connaissance à Paris, et que n'aiant pas reçu d'ordre de la Compagnie à mon sujet, il ne pourrait me donner aucun secours. Abandonné
par la Compagnie qui depuis
plus de six années n'avait pas répondu un seul
mot aux lettres pressantes que
je lui avais écrit, ... je me crus
obligé...de m'embarquer malgré
les périls de la guerre, pour venir savoir les intentions de
la Compagnie,
l'informer de ma conduite, de mes découvertes. |
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26
avril 1756 : Départ
de l’Isle de France sur le
Pondichéry. .
.
4
mai – 6 septembre 1756 : Hivernage
à Madagascar. .
Poivre y
découvre un muscadier
sauvage .
.
23
décembre 1756 : Le
Pondichéry
est capturé par les Anglais, Poivre est
conduit à Cork en Irlande. .
.
22
avril 1757 : Poivre est en
France. Il constate que
la Compagnie l’a effectivement
totalement oublié. |
Sans
nouvelles de la Compagnie, Poivre regagne la France. M.
Magon me permit de m'embarquer sur
le vaisseau le
Pondichéry et comme ce
navire devait hiverner à Madagascar, je
profitai de cette occasion pour aller faire dans cette isle quelques
recherches
relatives à ma mission. Je
partis de l'Isle de France le
vingt-six avril 1756 et j'arrivai à Madagascar le quatre mai
suivant. j'ai
découvert que le Rhâo
de Flacourt dont le
véritable nom est
Rhà-rhà est un vrai
muscadier sauvage. Cette
découverte dans une isle si
voisine de celles que possède la Compagnie me
paraît bien capable de l'engager
à ne pas abandonner l'entreprise de l'acquisition des
épiceries, et doit lui donner
de justes espérances de les voir réussir dans ses
isles. Je
partis de Madagascar sur le
vaisseau le
Pondichéry le 6 septembre
1756. Je fus pris par les Anglais le 23 décembre de la
même année et conduit à Cork en
Irlande, d'où je suis revenu en France le
vingt-deux avril 1757. Je
me présentai à la Compagnie dès le
mois de Mai suivant, mais je ne pus obtenir de réponse
qu'à la fin de
Septembre. Cette réponse fut qu'on n'avait aucune
connoissance des opérations
que j'avais faites aux Indes ; il y
avait cependant un carton rempli de mes lettres, journaux,
mémoires, et autres
pièces que j'avais envoyés annuellement M.
David fut chargé de faire un extrait
de toutes ces pièces pour en faire le rapport à
la Compagnie. Fin de mission |
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