Poivre, l'ermite de La Fréta Par Jean Paul Morel L’ermitage bien
aimé
Enfin
tout est semé, planté, transplanté,
traité,
approprié, les fruits ont succédé aux
fleurs et il
ne me reste plus qu’à entretenir et à
attendre la
maturité de chaque production. Cette vie qui me
sépare
pour ainsi dire de la société des hommes me plait
infiniment. Je deviens un peu sauvage : mais je
m’aperçois
que je jouis plus de moi-même, que mon entretien presque
continuel avec la nature seule ou plutôt avec celui qui en
est le
moteur universel, me rend davantage ma qualité
d’être pensant. Je sens bien que mes occupations ne
me
mènent à rien de brillant, que mes jouissances
n’ont que de petits objets : mais elles sont innocentes, sans
trouble, sans remords. Les jouissances les plus brillantes des hommes
en place ne sont également que des niaiseries, des
frivolités, et satisfont encore moins
l’âme que les
miennes. Enfin je suis content de ma vie d’ermite et je
n’ambitionne rien au delà.
(Pierre
Poivre
à Jean-Marie Galles, le 14 mai 1779)
*
La
Fréta - Situation géographique.
Le domaine de La Fréta est situé sur la commune de Saint-Romain au Mont d’Or, dans le département du Rhône. Ce village est à quelques kilomètres au nord de Lyon sur la rive droite de la Saône. Les habitants s’appellent les Saromagnots La propriété est un peu en contrebas du village, au sud-est de celui-ci, dominant la Saône d’une vingtaine de mètres. Elle est repérable facilement sur les photos satellites que propose Google Earth aux coordonnées : (45° 50’10 N – 4° 49’50 E). *
Description
de La Fréta du temps de Poivre
Un inventaire à la mort de Poivre, des plans cadastraux à différentes époques, des plans de la propriété et des bâtiments dressés à l’occasion d’un sinistre, une lithographie de la maison, sans compter les témoignages, en voilà bien assez pour décrire la propriété alors même qu’il ne reste pratiquement rien des bâtiments d’alors. ...... Accès à Description de La Fréta. Un atlas
Un atlas renferme des plans des
paroisses de Couzon et Saint-Romain ; quatre planches montrent La
Fréta à différentes époques
:• un plan d’ensemble des paroisses de St Romains et de Couzon juste après l’achat par Poivre donc vers 1759. ....... Plan d’ensemble. • De la même époque, une vue précise de la propriété avant son réaménagement : tous les bâtiments présents seront rasés. La mesure des parcelles est exprimée en bicherées, sa mesure dans le lyonnais est de 12 ares, 93 centiares, etc., soit un peu moins de huit bicherées à l’hectare. On voit figurer sur ce plan une autre très ancienne mesure : la fessorée, employée essentiellement pour le vignoble. C’est un tiers de bicherée soit environ 431 m2. ....... Plan de l’état initial. • Un plan plus tardif où l’on voit que de nouvelles parcelles ont été acquises, c’est cet ensemble qui sera paysagé ; à ce stade, seule l’allée d’entrée est dessinée. Les bâtiments sont proches de leur emprise définitive. .............. Plan de l’état intermédiaire. • Un plan daté de 1777, montre la propriété dans son état d’achèvement. Le parc est entièrement dessiné avec son jardin à la française, ses bassins, le cabinet d’histoire naturelle, le jardin chinois et le pavillon chinois. ....... Plan de 1777. Plans de 1858
Plusieurs
plans réalisés soixante–dix ans
après la mort de Poivre, mais avant que la
propriété ne soit détruite. Des
plans que nous
avons épurés et complétés.• un plan de la propriété où l’on retrouve parfaitement le plan de 1777. De légères modifications : une mare remplacée par un bâtiment dans la cour, un bassin qui aurait changé de forme : probable erreur du dessinateur. ..... Plan de 1858. •
les
plans des façades de la maison.
.... Plan des façades. • les plans des planchers où l’on a situé l’affectation des pièces d’après l’inventaire. Une petite pièce est venue encombrer le passage couvert entre la cour et le jardin. ...... Plan des planchers. Un dessin
Une vue
depuis le jardin,
reconstituée en utilisant les plans
précédents et
une lithographie représentant la face sud de la maison avec
à sa gauche la chapelle et au premier plan le jardin
à la
française. ... Dessin façade sud. *
Documents utilisés
pour cette description.
- Un atlas de 1787 contenant 25
plans situés à
Couzon-au-Mont-d'Or et à Saint-Romain-au-Mont-d'Or.
Parcelles
renseignées avec le nom du propriétaire ou du
tenancier,
leur contenance et leur nature. Les plans concernant le domaine de La
Freta de Pierre Poivre s’échelonnent de 1758?
à
1777 : pièces 1, 6, 22 et 23. (Archives
départementales
du Rhône ADR, réf. 10 G 2238).- Le dossier constitué pour rendre compte du sinistre du 12 mars 1853 contient des plans, coupes et élévations datant de 1858, (ADR S1641: Chemin de fer de Paris à Lyon par la Bourgogne. Réf. XII S 67 Chemin de fer, St Romain au Mont d’Or. Dossier comprenant 122 pièces.) - Une étude sur le sujet . - Une lithographie de la même époque représentant la face sud avec, au premier plan, le jardin à la française. (Une photographie de cette lithographie se trouve aux Archives de l’Académie des Sciences à Paris dans le dossier Pierre Poivre. Nous la reproduirons si son propriétaire nous y autorise.) - Les descriptions rapportées dans les actes notariés : achat de La Fréta par Poivre (ADR, 10C 1018, f°75v°) ; inventaire au décès de Poivre, 19 janvier 1786 (ADR Ainay 11 G 353) ; vente de La Fréta par Mme Poivre (ADR 3E 9238). - Les récits par Poivre et des visiteurs.
Plusieurs de
ces documents m’ont été
communiqués par Paul
Feuga que je remercie encore. Il a écrit un très
bon
article sur le même sujet : Une visite à La
Fréta
à Pierre Poivre en 1782. Publié dans le Bulletin
de la
Société Historique, Archéologique et
Littéraire de Lyon, année 1994, tome XXIV.
La Freta est-elle l’œuvre de Soufflot ? C’est ce qui se raconte dans les salons lyonnais, une étude traite de la question : L’œuvre de Soufflot à Lyon (*). On y apprend qu’outre de nombreux édifices publics (églises, théâtre, hospices, etc.), quatre propriétés lyonnaises sont reconnues comme conçues par cet architecte. En revanche, pour deux propriétés : La Freta et le château Lacroix-Laval, le conditionnel est de mise selon cette étude, puisque « la tradition orale et écrite les attribue à l’architecte, ce que confirme la qualité des propriétaires et le style, sans le secours toutefois de documents explicites ». Il est donc confirmé qu’aucun document n’atteste de la paternité de Soufflot sur les plans de la Fréta. Pour le reste, l’étude n’ajoute rien à ce que nous savons des liaisons entre Poivre et Soufflot : l’article cite avec à propos les académies lyonnaises, le ministre Bertin, et la famille Parent. Pour la période d’édification, l’étude ne peut que citer les périodes où Poivre réside à Lyon, propriétaire de la Fréta. Enfin on trouve dans cette publication quelques-uns des plans que nous reproduisons ici. (*) : L’œuvre de Souffot à Lyon. Etudes et documents, Université Lyon II, Institut d’histoire de l’art. Publica-tion : Presses universitaires de Lyon, 1982. (La Freta : pp. 113-117). *
Pierre Poivre à La
Fréta, quelques faits et dates.
Depuis
l’acquisition de la propriété en mars
1758,
jusqu’à sa revente par sa veuve en 1788,
l’énumération des
événements ne
pourra pas rendre compte de l’attachement qui lia Poivre
à
cette terre. L’ancien voyageur du bout du monde, toujours
plus
philosophe, trouvait son bonheur à cultiver son coteau du
bord
de Saône.
.... Accès à Faits et dates. *
Pierre Poivre à La
Fréta : les témoignages
Pour illustrer la retraite de
Poivre à La Fréta, plutôt que de
raconter ce que
racontent les uns et les autres, nous préférons
vous
proposer d’accéder directement à leurs
écrits.
Poivre, lettres de La Fréta - Des lettres de Poivre à Galles, toutes écrites depuis La Fréta, nous extrayons les passages dans lesquels Poivre parle du temps qu’il fait, de l’état des cultures et de son affection pour « sa Fréta ». - Des extraits de lettres de Poivre au ministre Bertin montrent qu’il ne cessa d’effectuer sur son domaine des expériences d’acclimatation de toutes sortes d’espèces végétales exotiques. Une lettre montre l’attention que Poivre portait à ses voisins les plus modestes. Ici le fils du maréchal-ferrant de Couzon. - Quelques mots de Mme Poivre, en particulier une très brève note concernant les habitants de St Romain. Elle rapporte les efforts de Poivre pour adoucir les corvées qu’ils subissaient alors. ......... Accès à Lettres de Poivre. Des visiteurs à La Fréta - Pendant l’automne hiver 1785-1786, Victor Du Pont, le fils aîné de Pierre-Samuel Du Pont de Nemours fut hébergé à La Fréta, hôte de la famille de Pierre Poivre. Pendant son séjour, il écrivit régulièrement à son père, et ses lettres nous apprennent des détails intéressants sur la vie à La Fréta et la campagne environnante. - La visite à La Fréta effectuée par Brissot au printemps de 1782 présente l’image d’un bonheur familial dans un cadre enchanteur. - L’année suivante, Morel de Voleine visite La Fréta et tombe également sous le charme : Tout y respire un air de candeur, de simplicité et de noblesse. Il nous apprend que le prince Henry, frère du roi de Prusse vint rend visite à Poivre à sa campagne. - Bien plus tardive, Poivre n’est plus là pour accueillir le visiteur, l’excursion botanique effectuée par M. Hénon en 1837. Membre de la Société d’Agriculture de Lyon dont Poivre fut un des membres fondateurs, Henon rend compte à ses collègues de l’état du parc de La Fréta. - Un siècle plus tard, en 1934, Marguerite Jean, fait des recherches sur La Fréta à l’instigation d’Alfred Lacroix, secrétaire de l’Académie des Sciences de Paris, qui rassemble un dossier sur Pierre Poivre. Elle rend visite à la propriétaire, Mme Vignat qui a hérité La Fréta de son père, et en rend compte dans un courrier à Lacroix. ........ Accès à Visiteurs à La Fréta. *
Paysages aux alentours de la Fréta Nous avons rassemblé quelques brefs récits d’excursions aux alentours de La Fréta au 18e et 19e siècle. • Vers 1780, depuis le belvédère de la Fréta, on découvre toute la vallée de la Saône. • En 1804, depuis la diligence d’eau qui parcourt la Saône de Macon à Lyon, un voyageur décrit le paysage au voisinage de Saint-Romain. • En 1812, toujours depuis la diligence d’eau, un voyageur parti en sens inverse de Lyon vers Macon, décrit l’itinéraire. • Vers 1880, une excursion pédestre à travers le Mont-d’or conduit un randonneur jusqu’au village de St Romain. ................ Accès à Paysages alentours. *
La Fréta
après Poivre.
Nous avons vu
que Pierre Poivre avait acheté le domaine de La
Fréta le
12 mars 1758 de Jean-Baptiste Agniel de La Vernouze, et que son
épouse « dame Françoise Robin, veuve,
demoiselle
» le revendait le 12 juillet 1788, à
Barthélemy
François Goiran. La nature du bien revendu était
très différente du bien acquis : la superficie
avait
triplé, un parc avait été
créé, les
bâtiments avaient été rasés
puis
rebâtis.
- Jacques Catherin Charrier de Grigny achète La Fréta le 10 avril 1818 à Jean Garat qui l’avait acquise par succession de la famille Goiran. - Le 24 février 1837 meurt Christophe Suzanne de La Frasse Seynas (Mme de Grigny), veuve de Jacques Catherin Charrier de Grigny et La Fréta revient par testament à Mme Guillemette Hypolite Charrier de Grigny, veuve de Sébastien Claude Charrier de Sainneville et sa fille Augustine dite Augusta Charrier de Saineville, toutes deux résidantes à La Fréta. - Vers 1850 : la Compagnie de chemin de fer Paris-Lyon-Marseille acquit une bande de terrain en bord de Saône pour le passage de la voie de chemin de fer Paris Lyon. - Le 12 mars 1853 : affaissement de terrain, conséquence de l’éboulement du mur de soutènement de la tranchée de la voie de chemin de fer. La maison principale se fissure de toute part et devient inhabitable. - En 1858 a lieu l’expertise des dégâts causés par l’affaissement de terrain. Des plans des parcelles et des bâtiments sont dressés. (Ils sont aujourd’hui aux archives départementales du Rhône). A cette occasion on apprend que les propriétaires, les dames de Sainneville, habitent la maison du granger qui n’a pas souffert du glissement de terrain. - En 1884, Pierre Vignat achète la propriété aux enchères, suite à la débâcle des Sainneville. Le domaine mesure alors env. 15 hectares. Il n’a plus accès à la Saône, en étant séparé par ligne de chemin de fer. - En 1885, la maison construite à l’initiative de Pierre Poivre est rasée, remplacée par une autre. - En 1934, Marguerite Jean vient visiter La Fréta, reçu par Madame Vignat, propriétaire du lieu. - En 1994, le 6 novembre, une plaque au nom de Poivre est inaugurée à La Fréta. *
La Fréta aujourd’hui
La maison de
maître actuelle a été
implantée à l’emplacement de l’ancienne ;
subsistent les deux bassins dont les statues qui encadrent le
deuxième ont été restaurées ;
également : un cadran solaire, le bosquet, les ruines des
grottes, le cabinet de curiosités et la chapelle très
délabrée.
Nous avions constaté l’arrivée d’une ligne de chemin de fer entre le parc et la Saône ; l’altération du paysage s’est poursuivie ; le chemin rural longeant la Saône, (le chemin de hallage) a fait place à une route, le « quai de Charézieux » ; et les nombreuses constructions alentours nous font savoir que nous sommes dans la banlieue de Lyon. *
Annexe : Achat et vente de La Fréta par la famille Poivre. Achat de La Fréta par Pierre Poivre Acte de vente notarié : acte achat de La Fréta par Pierre Poivre, le 12 mars 1758. Vendeur M. Agniel de La Vernouse (ADR, 10c1018 f°75) et Procuration de Pierre Poivre à son frère Denis, annexé à l’achat Paris 17.10.57 Jean Baptiste Agniel Ecuyer, Seigneur de la Vernouse, Conseiller du Roi en la cour des Monnoies Sénéchaussée de Lyon ... vend à Sieur Pierre Poivre Bourgeois de Lyon actuellement dans la ville de Paris et pour lui à Sieur Denis Poivre, son frère, négociant de Lyon. A savoir la maison de campagne et fonds dépendant appelé La Freta, situé dans la paroisse de St Romain au Mont d’Or , ..., et consistant outre la maison du Maître, en vignes, près, terres, vergers, pâturages, saulées, bois taillis et de haute futaie, fonds, tréfonds. De plus demeurent compris dans la présente vente les pressoirs, cuves, tonneaux, bennes, benots, bestiaux, harnais et outils d’agriculture ; tous les meubles meublant, consistant en trumeaux, glaces, tables de marbre, tableaux, batterie de cuisine, lits, chaises et autres effets mobiliers, tant à l’usage du maître que des grangers et cultivateurs ; ensemble les foins, paille, vins et autres denrées étant actuellement dans la maison. En plus exempt de charges à l’exception des cens et servis dus aux seigneurs directs, d’une rente foncière et annuelle de onze livres due au couvent des pères Cordeliers de l’Observance de Lyon et d’une fondation de six livres pour la rétribution de six messes qui doivent être célébrées chaque année dans la chapelle domestique de la maison. Cette vente faite moyennant le prix et somme de quarante-deux mille livres, savoir dix mille livres pour la valeur des meubles meublants, bestiaux, ustensiles et autres effets mobiliers ; deux mille livres pour les vins, foins et autres denrées de la récolte dernière ; et trente mille livres pour la valeur des bâtiments, fonds et accessoires. Somme réglée pour partie « présentement et comptant en bonnes espèces », la somme de vingt-sept mille livres et les quinze mille livres restant dues payées trois mois après le décès de M. Claude Cizeron, le père de Mme de La Vernouze, et d’ici là, un intérêt de 5%. *
Vente de La Fréta par
Mme Poivre (ADR 3E 9238).
Dame Françoise Robin, Demoiselle, Veuve de M. Pierre Poivre, Ecuyer, ... par acte du 2 juillet 1788 accepte l’option de conserver La Fréta, moyennant un dédommagement à sa fille à sa majorité ou son mariage de 40.000 livres ; puis le 12 juillet elle vend à Barthélémy François Goiran, écuyer, secrétaire du Roy, « la maison de campagne et fonds en dépendant, appelée La Fréta », « consistant outre la maison du maître, en vignes, prés, terres, vergers, pâturages, saulaies, bois taillis et de haute futaie, fonds, tréfonds, et généralement tout ce qui forme une dépendance de la maison et domaine », exceptant de cette vente « tous les meubles meublant, consistant en trumeaux, glaces, tables de marbre, tableaux, batterie de cuisine, lits, chaises et autres effets mobiliers, tant à l’usage du maître que des grangers et cultivateurs, cabinet chinois et d’histoire naturelle, pressoirs, cuves, tonneaux, bennes, benots, bestiaux, harnais et outils d’agriculture, ensemble les foins, paille, vins et autres denrées ». A charge de l’acquéreur des cens et servis dus aux seigneurs directs, d’une rente et annuelle et foncière de onze livres due au couvent des pères Cordeliers de l’Observance de cette ville, et d’une fondation de six livres pour la rétribution de six messes qui doivent être célébrées chaque année dans la chapelle domestique de la maison. Vente conclue au prix de 46.000 livres dont 6.000 réglé comptant à Mme Poivre, et 40.000 à verser à Julienne Isle de France à sa majorité ou son mariage, et d’ici là Mme Poivre perçois un intérêt annuel de 4.5% sur cette somme. Julienne Isle de France Poivre épousait J. X. Bureau de Pusy le 31 mars 1792, et le 6 juillet suivant, à Vesoul, elle donnait procuration pour ratifier l’acte de vente et percevoir son dû. |