Documents annexes à la Mission en
Cochinchine confiée au Sr
Poivre par La Compagnie des Indes Pierre Poivre nous a fait part de
sa mission en Cochinchine
principalement dans deux comptes rendus : d’une
part, le récit de sa
mission pour la Compagnie des Indes de 1748 à 1757, dont la
mission en
Cochinchine constitue la première partie, et, beaucoup plus
détaillé, le
journal de son séjour en Cochinchine. Ces deux
récits ont été publiés par
Henri
Cordier, et nous les reproduisons parmi nos
rééditions. Le
même
Cordier avait publié un ensemble de mémoires sur
la Cochinchine dont nous avons
reproduit la partie qui constitue les prémisses à
cette mission de Poivre en
Cochinchine. On pourra donc lire dans un premier temps :
*
* D’autres
documents sur cette mission en Cochinchine, essentiellement des
manuscrits des
Archives Nationales n’ont jamais été
publiés, sauf de courts extraits et citations.
Nous transcrivons ici tous ceux que nous avons pu recueillir. Tout
d’abord,
on pourra lire le compte rendu de la délibération
de
la Compagnie des Indes
du 25 juillet 1748 qui confie à Poivre une
double mission, d’abord
établir des relations commerciales avec la Cochinchine, puis
introduire les
épiceries fines : girofle et muscade, aux Isles de
France et de Bourbon. Le projet
consiste à se munir de présents
pour le roi de
Cochinchine
qui pourraient décider favorablement le monarque
vis-à-vis de la nation
française, à se munir également de
suffisamment de monnaie pour acquérir une
cargaisons avantageuse, et à se rendre en Cochinchine avec
le personnel susceptible
de demeurer sur place pour y constituer un établissement
permanent. Le
départ doit se faire sur un vaisseau régulier
de la Compagnie jusqu’à l’Isle de
France, où il sera demandé au gouverneur
David d’affréter spécialement un navire
avec lequel Poivre puisse se rendre directement
en Cochinchine pour y accomplir sa première mission. On lira les
instructions
de la Compagnie adressées
à Poivre, et celles adressées à
David pour cette mission. Embarqué
sur le Montaran, Poivre quitte
Lorient le 23
octobre 1748, fait escale au Cap du 15 au 23 janvier 1749, et atteint
Port-Louis
de l’Isle de France le 13 mars. La mission de
Poivre est un secret d’Etat, sa deuxième partie
surtout, dont l’objet ne doit
sous aucun prétexte parvenir aux oreilles de la
très puissante compagnie hollandaises
des Indes qui, prévenue, serait en mesure
d’entraver la tentative de rupture de
son monopole sur les épiceries fines. Pour ce faire,
un « comité secret » a
été constitué au sein de la direction
de la Compagnie
des Indes, qui sera le seul correspondant de Poivre pendant toute sa
mission. Ce
sont donc des lettres « au Comité
secret » ou « du
Comité
secret » dont nous serons amenés
à rendre compte. Nous n’avons pas retrouvé les lettres écrites depuis le cap de Bonne-Espérance ; les premières lettres au Comité secret que nous ayons sont écrites de l’Isle de France : le 26 mars 1749, le gouverneur David rend compte de l’armement du Sumatra et de divers autres arrangements pour répondre aux vœux de la Compagnie concernant la mission de Poivre. Le 30 mars, une lettre de Poivre annonce l’armement en cours d’un petit brigantin et le projet de passer par Pondichéry pour récupérer les deux Cochinchinois que M. Friell y a amenés, et régler la question de la dette de ce dernier envers le Roi de Cochinchine qui pourrait nuire à sa mission. L’escale au Cap a permis à Poivre de rassembler beaucoup de plantes utiles à l’Isle de France. Il demande qu’un ordre soit envoyé à Friell. Le 25 octobre1749, la Compagnie répond favorablement à ces deux lettres: Compagnie à Poivre, et Compagnie à David. Le gouverneur
David remet à Poivre une lettre destinée
à Dupleix (David à Dupleix mars 49)
où il lui demande de concourir autant qu’il le
pourra au
succès de la mission de Poivre à laquelle la
Compagnie
attache la plus grande importance. Il demande également que
l’on fournisse à Poivre les papiers pour
apparaître
sous pavillon maure et lui permettre de vendre à Manille les
marchandises qu’il aura pu acquérir en
Cochinchine. Les
Français n’ont pas le droit de commercer librement
à Manille. Le 16 avril
1749,
le vaisseau le Sumatra quitte
Port-Louis, destination Pondichéry qui n’est
atteint que le 21 juillet, lenteurs
dues aux mauvaises performances du voilier et à une voie
d’eau. A Pondichéry,
Poivre obtient de Dupleix le remplacement du Sumatra
par le Machault,
et, après bien des difficultés, Poivre
récupère de Friell sa chappe
(laissez-passer) qui devrait faciliter les relations commerciales en
Cochinchine. Nous sommes informés de son séjour
à Pondichéry par sa lettre
du 1er juillet 1749 adressée au
Comité secret. On se
souvient
que Poivre
et Friell se sont connus lors du séjour à Canton
de Poivre dans les années 1741-1744,
et que Friell, appuyé par Dupleix son beau-père,
avait proposé à la Compagnie, comme
Poivre, de nouer des relations commerciales avec la Cochinchine. La
présence de
Poivre à Pondichéry, comme pour narguer un rival
vaincu, était forcément très
mal ressentie par Dupleix et Friell, d’autant plus que Poivre
accusait Friell
de s’être mal comporté
vis-à-vis du roi de Cochinchine et de deux de ses
ressortissants. Pour
ne pas rester en marge d’un projet prometteur,
et en recueillir une part du succès, Dupleix et son Conseil
font preuve d’une autorité
qu’ils n’avaient pas d’où les Instructions
du Conseil Supérieur à Pondichéry au
Sr Poivre . Le 7 juillet
1749 (ou le 10 suivant les récits) le Machault
quitte la rade de Pondichéry, et jette l’ancre sur
la côte de Cochinchine, en
baie de Tourane, le 29 août. Le
séjour en
Cochinchine dure jusqu’au 11 février 1750, date
où le Machault
appareille de la baie de Tourane. Ce séjour est longuement
décrit dans les récits cités au
début de cette note, mais également dans le
journal tenu par M. Laurens
qui a accompagné Poivre
depuis Lorient pour être
le subrécargue de cette expédition. Du
même Sr
Laurens, trois lettres à la Compagnie écrites de
l'Isle
de France, l'une avant l'expédition du 28
mars 1749, deux autres à son retour du 12
et 15 avril 1750. Le Machault accoste au Port-Louis
après
deux mois de mer. Dans une lettre
du 10 avril 1750, date du
jour de son débarquement à l’Isle de
France, Poivre rend compte de sa mission au
Comité secret : Bref rappel des étapes, Isle de
France, l’escale à Pondichéry
avant une arrivée trop tardive à Tourane.
Lenteurs pour obtenir que les
piastres deviennent officiellement monnaie courante. Tracas en tous
genres, marché
dégarni et pluies empêchant le transport des
présents au roi. Le royaume s’est
trouvé beaucoup moins bien disposé envers les
Européens qu’à son séjour
précédent. Poivre s’est
trouvé confronté à toutes sortes de
difficultés dont le
renchérissement des marchandises causé par la
nouvelle monnaie de toutenague.
Il obtient cependant une chappe accordant la liberté du
commerce et le droit
d’établir un comptoir. Cela sans beaucoup
d’intérêt à cause des
problèmes de
payement (monnaie de toutenague). Après des
méchancetés contre le Conseil de
Pondichéry,
Dupleix et Friell, nous apprenons que comme dans tous ses voyages,
Poivre a
profité de son séjour pour acquérir
divers végétaux : poivriers,
cannelliers, teinture rouge. Le séjour en Cochinchine et la
traversée de retour
ont causé beaucoup de décès parmi le
personnel et l’équipage. Enfin Poivre
remercie les personnes qui l’ont secondé dont les
messieurs des Missions
étrangères. En quittant
la Cochinchine, Poivre a kidnappé son interprète,
Michel Ruong, pour le punir
de ses traîtrises. Quelques mois plus tard, tout le
clergé catholique a été
expulsé de Cochinchine, et certains
ecclésiastiques accusent Poivre d’être
le
responsable de leur expulsion en représailles à
son geste inconsidéré. La lettre suivante au Comité secret, est écrite de Canton où Poivre s’est rendu pour entamer sa quête des épiceries fines. Poivre y traite essentiellement de sa nouvelle mission, mais à Canton, il a retrouvé les missionnaires qui ont été expulsé de Cochinchine, aussi revient-il dans cette lettre au Comité du 31 décembre 1750 sur les motifs de cette expulsion. A
la même date,
il expédie une lettre à M. St-Priest, un des
directeurs
de la Compagnie. Il revient sur l’expédition en
Cochinchine, et affirme avec
un parfait aplomb que l’enlèvement de
l’interprète n’a pas eu la moindre
conséquence
fâcheuse : lettre à St-Priest du 31
décembre 1750 . Suite
à
l’expédition de Poivre en Cochinchine, Dupleix
et le Conseil
supérieur de
Pondichéry trouvent des raisons de critiquer Poivre. Poivre
écrivait quelque part que Dupleix lui avait dit que
c’était sa femme qui ne
pouvait pas le souffrir : on lira ici que lui-même
ne le portait vraiment
pas dans son cœur. Près de vingt ans après cet épisode, en 1768, Poivre alors intendant à l’Isle de France, est sollicité par le ministre Praslin pour donner son avis sur une éventuelle nouvelle implantation en Cochinchine, les documents sur cette affaire nous ont paru pouvoir être annexés ici. Pour terminer,
deux petits manuscrits du Muséum d’Histoire
Naturelle sont en rapport avec la mission
de Poivre en Cochinchine : -
Une Observation
sur le sucre à la Cochinchine, occasion pour Mme
Poivre d’affirmer son
engagement anti-esclavagiste. -
Un Extrait
d'une addition au mémoire de M. Poivre, qui permet
d’en savoir un peu plus
sur M. Friell, mais surtout de constater que Poivre a la rancœur tenace. * *
*
Jean-Paul Morel,
Juillet 2010
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